L’histoire du vocable
Notre Dame des Vertus ( avec ses variantes Notre Dame de la Vertu
, de toute Vertu, de toutes les Vertus) a suivi le cheminement commun
à tous les vocables de la Vierge.
La plus ancienne prière mariale connue, le
Sub tuum, qui remonte en Orient à la fin du IIIe siècle, ne connaît
encore que les invocations fédératrices et incontournables :
« Sainte Mère de Dieu » et « Vierge glorieuse et bénie ».
A partir du XIe siècle,quand s’animent les
routes européennes vers Saint Jacques de Compostelle, les lieux où
les pèlerins s’arrêtent pour prier Notre Dame, deviennent autant
de haltes spirituelles où ils célèbrent, en communauté , leur adoption
par la Mère de Dieu. Notre Dame devient alors de Chartres, du Puy
ou de Rocamadour. Ou, plus humblement , la « Vierge de chez
soi », celle qu’on vient invoquer dans l’église de son village
ou dans la chapelle qu’on lui a élevée à proximité, près d’une source
ou dans un bois.
Au XIIIe siècle, le bouleversement de la sensibilité
religieuse, consécutif aux Croisades et en liaison avec les malheurs
du temps, suscite le besoin nouveau d’aller plus loin dans la personnalisation
de la dévotion.
Désormais, il ne suffit plus à chacun d’invoquer
la « Vierge de chez lui », il ressent la nécessité de prier
sa « Vierge à lui », celle qui le guidera de la façon la
plus sûre, suivant le chemin qui lui est le plus personnel, donc le
mieux adapté, le long de son pèlerinage intérieur vers la Médiatrice
universelle. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus n’a pas agi autrement
avec Notre Dame du Sourire. Et c’est ainsi qu’a fleuri le printemps
des vocables.
A cette histoire générale, s’en ajoute une
plus spécifique qui découle de l’évolution du concept et du mot Vertu.
Vertu nous vient du latin Virtus qui
signifie l’ensemble des qualités qui font la valeur de l’homme ( vir)
au physique et au moral : la sagesse, la justice, le courage
et la maîtrise de soi-même. La femme, dans cette distribution de couronnes,
avait extrêmement peu de place, comme on peut le vérifier dans les
Tusculanes de Cicéron. A la rigueur, acceptait–on de déceler quelques
reflets des vertus viriles chez les grandes héroïnes …
C’est ce mot Virtus, le mieux fait pour être
compris d’une société de chevaliers, qui passe dans le français Vertu
dès le XIe siècle dans le sens de « courage, force physique,
sagesse » .
Dans ce sens, Notre Dame des Vertus, ou mieux
encore de la Vertu, est celle qui nous communique son courage dans
l’épreuve, qui partage avec nous la grâce de sa force, celle qui,
comme une Mère, nous garde ou nous remet debout.
Mais, bien sûr, toute grâce devant être rapportée
à Dieu, la Vertu que la Vierge fait passer en nous est en réalité
celle de Dieu, qui répond à son intercession en agissant à travers
elle par la puissance de l’Esprit.
Cette évolution du sens de la Vertu va glisser
vers le pluriel par un mouvement tout naturel. En effet, on appellera
aussi Vertus les miracles produits par la Virtus de Dieu sur la prière
de la Vierge, et il y en aura tant qu’on ne pourra plus se contenter
du singulier. On parlera donc des Vertus de Notre Dame, comme d’ailleurs
des Vertus des saints.
Mais on a trop facilement tendance à confondre
Notre Dame des Miracles et Notre Dame des Vertus.
Ce sont des vocables jumeaux, mais il faut
les envisager avec prudence. Le double vocable de Notre Dame des Miracles
et des Vertus, de Rennes, nous le rappelle de façon exemplaire.
Car, comme nous dit Saint Augustin dans son
Utilité de croire : « J'appelle miracle tout ce qui, étant difficile
et inaccoutumé, dépasse l'attente et le pouvoir du spectateur qui
s'étonne ». En ce sens, Notre Dame des Miracles nous focalise
sur la réalisation des miracles. C’est ce qu’on oserait appeler un
vocable d’aval.
Tandis que Notre Dame des Vertus est un vocable
d’amont qui nous incite à remonter à l’origine même des miracles,
c’est-à-dire jusqu’à reconnaître en eux, et à la glorifier, la mise
entre parenthèses momentanée des lois naturelles par la manifestation
en notre faveur de la Virtus de Dieu.
Mais, en réalité, c’est un vocable à deux
niveaux qui porte aussi en lui le mot Vertus dans une deuxième acception.
Il fallut une longue maturation pour que le
mot qui désignait les qualités constitutives de la Virtus s’applique
aussi aux dons spirituels. Dans sa 1ère Epître aux Corinthiens,
lorsque Saint Paul nous parle de la foi, de l’espérance et de la charité,
il les appelle seulement « dons » et « choses »,
sans chercher à sortir de l’imprécision qui accompagne les découvertes
émerveillées.
La situation en resta à peu près là jusqu’à
Hildegarde de Bingen (1098-1179). Quand, parmi toutes ses œuvres d’avant-garde,
elle compose son Ordo Virtutum, elle fait dire à ses Patriarches
et Prophètes, s’interrogeant à propos des Vertus: « Qui sont celles-
ci, qui ressemblent à des nuages ? » C’est dire combien,
pour les contemporains d’ Hildegarde, la définition chrétienne des
Vertus était claire, même si l’on représentait le combat des Vertus
et des Vices sur beaucoup de chapiteaux… Car il est infiniment plus
facile de faire comprendre ce que sont les Vertus par opposition à
ce qu’elles combattent, que d’en faire ressortir l’essence en les
ramenant exclusivement à Dieu.
En une réplique soutenue par la musique, Hildegarde
fait répondre aux Vertus : « O vénérables saints, qu’admirez-vous
en nous ? Le Verbe de Dieu brille sous la forme d’un homme, et
nous resplendissons avec lui, construisant les membres de son corps
splendide. »
Ce qui exprime avec le maximum de simplicité
, mais aussi d’efficacité, ce en quoi les Vertus chrétiennes diffèrent
de la Virtus antique. Il s’agit bien encore de tout ce qui fait l’homme,
mais l’homme magnifié dans le Christ.
Dans le dialogue entre l’Ame et les Vertus,
Hildegarde fait entrer en scène successivement : Science de Dieu,
Humilité qui est leur Reine, Crainte de Dieu, Charité, ,Obéissance,
Foi, Espérance, Chasteté, Innocence, Mépris du monde, Amour Céleste,
Discipline, Modestie, Miséricorde,Victoire, Discrétion, Patience,
ce qui porte leur nombre à dix-sept.
On peut considérer Sainte
Hildegarde comme la marraine du vocable des Vertus, de même que
Saint François d’Assise ( 1181 –1226 ) peut en être considéré comme
le parrain à cause de ses Salutations à la Vierge Marie et aux Vertus.
Le peintre siennois Sassetta est tout à fait fidèle à cet esprit
quand il le représente épousant Dame Pauvreté, en présence de Dame
Charité et Dame Obéissance. Et, la cérémonie terminée, il n’oublie
pas de faire remonter ses trois Vertus dans l’azur infini du ciel,
pour nous rappeler d’où elles nous viennent.
Il convient d’ailleurs de remarquer que
Saint François ne retient que la Sagesse parmi les vertus naturelles
empruntées aux anciens. Il est vrai qu’il en fait une Reine au royaume
des Saintes Vertus, régnant sur Sainte Simplicité, Sainte Pauvreté,Sainte
Humilité, Sainte Charité et Sainte Obéissance, ce qui porte le nombre
total des vertus qu’il reconnaît à six.
Un an après la mort de Saint François,
naissait Saint Thomas d’Aquin (1227 –1274), dont l’œuvre colossale
structura bien des points de doctrine et qui, dans un esprit systématique
qui illustre sa force de synthèse, fut le premier à fixer nettement
le nombre des Vertus à sept, en superposant d’autorité aux quatre
vertus séculières qui formaient la Virtus antique, les trois théologales
qui nous viennent de Dieu ( la foi, l’espérance et la charité).
Enfin vint Sainte Jeanne de Valois ( 1464
– 1505 ) , fondatrice et institutrice du premier Ordre de l’Annonciade,
ou des dix Vertus ( ou des dix Plaisirs) de la Vierge - qu’on retrouve
plusieurs fois mêlée au culte de Notre Dame des Vertus – qui fit
remonter leur nombre, puisqu’elle reconnaît la Chasteté, la Prudence,
l'Humilité, la Foi, la Dévotion, l'Obéissance, la Pauvreté, la Patience,
la Charité et la Douceur ou Compassion.
Mais le nombre exact des vertus est finalement
sans importance. L’essentiel est que la Vierge les possède toutes
et que, pour cette raison, Dieu réponde volontiers à son intercession,
d’autant plus quand nous sollicitons d’elle le plus grand de tous
les miracles, celui de nous faire progresser, si peu que ce soit,
dans l’imitation de ses vertus .
Sans avoir la présomption, car nous connaissons
nos limites, de demander d’aller jusqu’à l’héroïcité des vertus,
qui reste le privilège des saints.
En ce qui concerne la France, parallèlement
aux autres vocables de la Vierge, celui de Notre Dame des Vertus connut
un développement important à partir du XIVe siècle, encore
plus important à partir de la Contre-Réforme, avec un maximum au XVIIe
siècle, un déclin au XVIIIe siècle sous la poussée des vertus civiques
et républicaines qui ressuscitaient le sens premier de Virtus, une
reprise fulgurante après 1870 , sous la IIIe République, avec un sommet
pendant la guerre de 1914 – 1918, suivi d’une relative mise en sommeil
dans la deuxième moitié du XXe siècle, et, semble-t-il, d’une reprise
récente .
Liens :
Le culte de Marie à travers les siècles :
http://www.guidecasa.com/bibliotheque/texte43.htm
Du rôle du vocable dans la personnalisation de la dévotion :
« De l’Etoile de Mer à Notre-Dame-du-Bon-Secours :
http://atan.chez.tiscali.fr/stella.pdf
La vertu virile d’après Cicéron :
http://perso.wanadoo.fr/yves.touchefeu/TUSCULANES.html#T3
De Virtus à Vertu :
http://www.hommes-et-faits.com/etymologie/cb_virtu.html
Les miracles chez Saint Augustin :
http://biblio.domuni.org/articlestheo/miracle/
Sainte Hildegarde de Bingen :
http://www.nouvellescles.com/dossier/Psychosomatique/Hildegarde.htm
http://www.oxfordgirlschoir.co.uk/hildegard/ordovirtutumtext.html
Saint François d’Assise :
http://www.univ-montp3.fr/~pictura/GenerateurNotice.php?numnotice=A0670
http://www.san-francesco.org/index1_fra.html
http://www.san-francesco.org/vergine_fra.html
http://www.san-francesco.org/virtu_fra.html
http://www.sulinet.hu/tovabbtan/felveteli/2001/16het/muvtori/muvtori16.html
Le mariage de Saint François avec Dame Pauvreté (Sassetta). Rechercher
Chantilly
Saint Thomas d’Aquin :
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Saint_Thomas
Rechercher vertus.
Sainte Jeanne de Valois :
http://www.catholic-forum.com/saints/saintj34.htm
http://encyclopedie.bourges.net/jeannedefrance.htm
http://www.siefar.org/DictionnaireHC/HCJeannedeFrancehtml
Extrait des Eloges du Père Hilarion de Coste ( 1595 - 1661 ). édition
de 1647.
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